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Histoire du Mentonnais antique et médiéval
16 janvier 2019

ITINERAIRES. 8. LA VIA APPENNINORUM (partie 4).

ITINERAIRES. 8. LA VIA APPENNINORUM (partie 4).

Arco_di_Augusto-Susa

Je poursuis dans cet article l'étude du réseau viaire de la Xe regio augustéenne, la Vénétie. J'ai laissé la voie romaine décrite par Pline après Turin-Côme et 107 milles, je la suivrai jusqu'à Aquileia. Les controverses autour de l'élaboration du livre III de Pline sont aussi stimulantes que déroutantes. Pour l'heure, puisqu'il n'est question ici que d'itinéraires, je résumerai ce que dit le texte: c'est Auguste qui a divisé l'Italie en onze régions et qui en a livré une descriptio énumérant les cités (urbes) de chaque région1; c'est Pline lui-même qui a choisi d'énumérer les cités littorales dans l'ordre, c'est-à-dire en suivant le trait de côte2; les vici qui entourent les cités ne peuvent être mentionnés, car ils sont trop nombreux3; la liste des cités intérieures suit la digestio établie par l'administration d'Auguste, par ordre alphabétique4; y figurent notamment toutes les colonies5; la localisation exacte du territoire de chaque cité et l'histoire de son peuplement sont mal aisées6; c'est Marcus Vipsanius Agrippa qui a fourni toutes les distances. Les détails de l'intégration de l'Istrie au tableau que Pline fait de l'Italie nous échappent, il y a tout lieu de penser qu'elle était très récente ou en cours au moment de l'élaboration de la descriptio et de la digestio augustéennes.

Pula (Pola) figure dans la Xe regio, comme Cemenelum (Cimiez) est citée dans la IXe regio et Segusio (Suse) dans la XIe regio, parce que le statut juridique de ces zones, au moment de la conquête des Alpes, est en train de changer7. Marcus Vipsanius Agrippa donne 410 milles à vol d'oiseau entre l'embouchure du Var et celle de l'Arsa (Arsia), le fleuve Raša de Croatie8, 2049 milles pour le contour de l'Italie de l'embouchure du Var à l'Arsa9, 120 milles nautiques entre l'embouchure de l'Arsa, finis Italiae, et Ancône10, et 745 milles de large en suivant le pied des Alpes depuis le Var à l'Arsa, par Vado Ligure, Turin, Côme, Brescia, Vérone, Vicence, Oderzo, Aquileia, Trieste et Pula11. C'est ce trajet-là que j'essaie laborieusement de reconstruire, parce qu'il implique une route entre Vado Ligure et Bene Vagienna.

F. La Via Postumia et la Via Alpium Isarcum.

 

J'avais laissé la Via Postumia, construite en -148 par le consul Spurius Postumius Albinus, à 6 milles du forum de Plaisance, à Molino Beghi, pont sur la Trebbia, il faut la poursuivre vers l'Est. De Plaisance (Placentia), elle traverse le Pô et rejoint Crémone (Cremona) par Caorso, en longeant le Pô par le sud, rejoignant à la porte décumane la route qui venait de Gerre (Ad Acerras), sur la rive opposée12. De Crémone, elle atteint Sant'Andrea di Cavaltone (Bedriacum), là où Othon et Vitellius, puis Vitellius et Vespasien, se livrèrent bataille l'année des Quatre Empereurs (69), et bifurque alors, une route poursuivant vers Mantoue (cf. mes papiers précédents). La Via Postumia franchit l'Oglio et le Mincio et rallie Vérone (Verona), après un trajet de 41 milles, qui suppose une mansio intermédiaire, peut-être à Goito. Nous l'avons suivie de Vérone à Vicence, elle part alors vers Oderzo (Opitergium), sans passer par Trévise (Tarvisium): rien de surprenant à cela, Trévise étant un municipe tardif, même si les Tarvisani sont cités parmi les gentes de la Xe regio augustéenne.

Le trajet entre Vicence et Oderzo n'est représenté que sur la Table de Peutinger, qui propose une distance de 33 milles, donc erronée (il y a 87 km aujourd'hui), avec une étape vers Concordia Sagittaria (Concordia) encore plus délirante (40 milles pour 31 km actuels). La distance totale, par contre, n'a rien d'aberrant: il y a peut-être une mansio à environ 33 milles de Vicence. Si l'archéologie signale sans peine le tracé rectiligne de la voie, aucune borne, aucun itinéraire n'attestent qu'il s'agisse bien de la Via Postumia, tandis que le trajet par Trévise se lit dans Settimo di Morgano, Quinto di Treviso et la borne de Breda di Piave. Mais il y a Quinto Vicentino (Ad Quintum), au nord-est, sur la Tesina, et le village de Postioma (Ad Postumiam), à l'intersection précise de la route Vicence-Oderzo (Opitergium) et de la voie Trévise-Montebelluna (Berua). La route passait donc par le Muson, où se trouve aujourd'hui Castelfranco Veneto, limite de l'ager de Padoue, et Postioma, probable mansio sur la Brenta, franchissait la Piave et ralliait Oderzo (Opitergium), puis parvenait à Concordia Sagittaria en passant par la Livenza et Annone Veneto (Ad Nonas).

J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer le trajet de Concordia à Aquilée par Latisana (Ad Pacilia) et Chiarisacco (Ad Undecimum). D'Aquilée, le terminus de la Via Postumia ne faisait pas un cul-de-sac. Par Gradisca d'Isonzo (Ad Undecimum), la Via Alpium Iuliarum gagnait Ljubljana. Par Trieste (Tergeste), elle traversait l'Istrie jusqu'à ce fameux fleuve Arsa qui motive toute cette digression. Par Terzio d'Aquileia (Ad Tertium), elle gagnait la mansio de Tricesimo (Ad Tricensimum). Les cinq bornes milliaires du secteur de Vendoglio (un magnifique *VINDOIALON), indiquant la distance de la voie qui menait depuis Oderzo et Concordia vers les Alpes Carniques et le Norique, laissent imaginer que les deux voies se rejoignaient un peu en amont, vers Bueriis. En remontant le Tagliamento, on parvenait à Carnia, où la Via Alpium Tauriscum gagnait le Magdalensberg, comme le prouve l'inscription de Moggio Udinese. La voie romaine tournait vers le nord-ouest, quant à elle, jusqu'à Terzo di Tolmezzo (Ad Tertium), puis à Zuglio (Iulium Carnicum). Elle gravissait alors le Monte Croce Carnico, puis descendait vers Mauthen (Loncium) et Lienz (Aguntum), une importante cité du Norique, chef-lieu des Ambidravi. De Lienz, la route remontait vers la mansio de San Candido (Littamum), dans la haute vallée de la Drave13.

La Via Alpium Isarcum gagnait ensuite San Lorenzo di Sebato (Sebato), chef-lieu des Saevates (CIL V, 1638), un peuple du Norique mentionné dans la Géographie de Ptolémée (Σεουακες)14. De là, la voie romaine rejoignait la haute vallée des Isarci et Colle dell'Isarco (Vipitenum), mais il faut corriger l'Itinéraire et lui ajouter X milles. Du Brenner, il restait encore du chemin pour parvenir jusqu'à Wilten (Veldidena), la garnison d'Innsbruck.

Table de Peutinger

Vicentia

Opitergio mpm. XXXIII

Concordia mpm. XL

Aquileia mpm. XXX

 

Bornes

 

Oderzo, Cal de la Piera

64

Oderzo I

 

VIA POSTUMIA

Molino Beghi - Pons Trebiae

Plaisance - Placentia VI

Crémone - Cremona XXII

Cavaltone - Betriaco XXII

Vérone - Verona XXXXI

Caldiero - Cadianum X

Fracanzana - Ad Aureos X

Vicence - Vicentia XI

Quinto Vicentino - Ad Quintum V

Postioma - Ad Postumiam XXXI

Oderzo - Opitergium XVIII

Annone Veneto - Ad Nonas XI

Concordia Sagittaria - Concordia VIIII

Latisana - Ad Pacilia VIII

Chiarisacco, S.Giorgio di Nogaro - Ad Undecimum XI

Aquilée - Aquileia XI

Terzo d'Aquileia - Ad Tertium III

Tricesimo - Ad Tricensimum XXVII

Terzo, Tolmezzo - Ad Tertium XXVII

Zuglio - Iulium Carnicum III

Mauthen - Loncium XXII

Lienz - Aguntum XVIII

S.Candido - Littamum XXIII

S.Lorenzo di Sebato - Saevate XXIII

Colle dell'Isarco - Vipitenum XXXXIII



G. La Via Alpium Carnicum.

 

Depuis Côme, la voie décrite par Pline gagnait Brescia, puis Vérone, Vicence, Oderzo, Aquilée, Trieste, Pola et l'embouchure de l'Arsa, finis Italiae. Comme il faut couper au plus court, un détour par Milan n'est pas envisageable. Le circuit proposé suit le piémont alpin et ne s'aventure guère en plaine. Entre Côme et Bergame, un parcours qui n'est connu que par la Table de Peutinger, cette voie que j'entends nommer la Via Alpium Carnicum, parce que son issue naturelle, dans la transversale d'ouest en est, est Cividale del Friuli, croisait aux environs de Bulciago celle qui menait à Annone di Brianza (Ad Nonas) et Lecco (Leuco), les anciens oppida des Brigantes, à Colle di Brianza et au Monte Barro, ayant été détruits et remplacés par Forum Licinii, à Incino, rebaptisé Forum Iuthungorum par la Géographie de Ptolémée. Le tracé entre les collines n'est pas rectiligne, et il faut compter sans doute 38 milles pour atteindre Bergame, ce qui vaut une mansio intermédiaire, la route de Milan, depuis Pontirolo (Pons Aureoli), rejoignant notre Via Alpium Carnicum dans le chef-lieu des Bergomates: les environs d'Alduno (Allodunum) feraient l'affaire.

Depuis Bergame, le parcours est connu jusqu'à Vicence (Vicentia), avec les précisions de l'Itinéraire de Bordeaux. Entre Vicence et Trévise (Tarvisium), et Trévise et Oderzo (Opitergium), on perd le comput, parce que Trévise est devenu municipe sur le tard, les Tarvisani mentionnés par Pline pouvant très bien peupler les Alpes Carniques. Mais Quinto Vicentino (Ad Quintum), Settimo di Morgano (Ad Septimum) et Quinto di Treviso (Ad Quintum) permettent de reconstituer la première étape sans trop de risques: 42 ou 43 milles, avec le passage sur la Brenta. Loreggia (Ad Aureliam), au carrefour entre la voie de Padoue à Asolo (Acelum) et Montebelluna (Berua), à 18 milles de Trévise et 24 de Vicence, pourrait très bien être la mansio intermédiaire, et signifier qu'au moment où Auguste fixe la frontière sur l'Arsa, c'est toute la voie entre l'Arsa et le Rhône qui est ainsi surnommée. Mais le raisonnement paraît léger, parce que l'absence de Trévise dans la description de Pline n'est pas fortuite: la Via Postumia, qui évite Trévise, est plus rapide (54 milles).

En effet, entre Trévise et Oderzo (Opitergium), la borne de Breda di Piave n'ayant pas été retrouvée in situ, j'adopterai le trajet le plus court, mais la vallée de la Piave entraîne un détour par Ponte di Piave et Levada, et au 42 milles s'en ajoutent bien 18, qui font 60. On postulera que le trajet plinien passait par la Postumia, et que depuis Turin, 304 milles avaient été couverts avant d'entrer dans Oderzo. Depuis Oderzo, trois voies au moins s'ouvraient, l'une vers le nord-est et la vallée de Belluno (Bellunum), l'autre vers le sud-est et Concordia, par Annone Veneto (Ad Nonas), que je viens d'étudier, la dernière par Asiano di Pordenone qui croisait la route de Concordia à Belluno à Azzano Decimo (Ad Decimum, calculés depuis Concordia). 16 milles entre Oderzo et Azzano Decimo, il en fallait autant pour rallier la mansio suivante, Codroipo (Ad Quadrivium), qui, comme son nom l'indique, était un carrefour, entre Azzano à l'ouest, Aquilée au sud-est, Zuglio au nord et Cividale del Friuli (Forum Iulii) à l'est. Puisqu'il est question de carrefour, la route de Codroipo à Cividale devait fatalement rencontrer celle qui menait d'Aquilée à Tricesimo, et les deux voies convergent vers Udine. Ce centre lombard, qui profita du déclin successif d'Aquilée et de Cividale, pourrait bien avoir été le cadre d'une mansio romaine. Quoi qu'il en soit, il fallait encore 27 milles pour atteindre, de Codroipo, le municipe de Cividale (Forum Iulii).


Bornes.

Codroipo

92

 

Breda di Piave

09

Trévise-Oderzo

 

VIA ALPIUM CARNICUM.

Comum

Côme

 

Bergamum

Bergame

38

Tellegate

Palazzolo sull'Oglio

12

Tetellus

Ospitaletto

10

Brixia

Brescia

10

Robiadunum

Rovadino

11

Ad Flexum/Sermio

Sermione

11

Ariolica/Ad Finem

Confine

7

Beneventum

Ara di Decima, Sona

3

Verona

Vérone

10

Cadianum

Caldiero

10

Ad Aureos

Fracanzana

10

Vicentia

Vicence

11

Ad Quintum

Quinto Vicentino

5

Ad Aureliam

Loreggia

19

Ad Septimum

Settimo, Morgano

11

Ad Quintum

Quinto di Treviso

2

Tarvisium

Trévise

5

Opitergium

Oderzo

18

Ad Decimum

Azzano Decimo

16

Ad Quadrivium

Codroipo

16

Forum Iulii

Cividale del Friuli

27

 

H. La Via Alpium Tauriscum (de Concordia).

 

Comme les Vindelici, fondus au milieu de Raeti dans la province de Rhétie, les Taurisci se perdirent dans celle de Norique. Ils ont pourtant donné quelques toponymes à la Vénétie, dont Tarvisio et Trévise ne sont pas les moins fameux. Que cette voie qui conduit au Magdalensberg puisse ramentevoir ! Dans les Dolomites, d'autres peuples ont disparu avec l'époque romaine: il est resté un peu des Anauni du Val di Non (Anaunium chez Pline, et des épigraphes), et moins encore des Flamonienses Vanienses (Vania chez Ptolémée) et Carici (Carraca chez Ptolémée), et Bretina est tout aussi obscure. C'est de Belluno (Bellunum), qui fédéra ces peuples, que j'entreprends ce nouveau périple, la Via Alpium Tauriscum. Elle menait à Ad Cerasias, que j'ai située sans grande conviction à Revine, dans un refuge alpin des Dolomites, parce que le parcours par Montebelluna, Fener et Valdobbiadene me semblait déjà bien encombré, puis filait vers Oderzo et Concordia, en croisant les viae Isarcum et Carnicum, comme je les ai nommées.

Depuis Concordia Sagittaria (Concordia), la Via Alpium Tauriscum partait vers le nord-est, par Sesto Al Reghena (Ad Sextum) jusqu'à Codroipo (Ad Quadrivium), où la rejoignait la voie d'Aquilée (Aquileia)15. En effet, Codroipo (Quadrivium) étant un carrefour entre quatre voies, trois ont été identifiées: celle qui venait d'Azzano Decimo, celle qui arrivait d'Udine, celle qui descendait de Fagagna. Une quatrième convergeait vers la mansio depuis Aquilée (Aquileia), mais elle n'est mentionné par aucun itinéraire, aucune borne, aucun toponyme, de sorte qu'on ne sait pas si elle était directe ou si elle passait par Chiarisacco (Ad Undecimum), ou par Terzo d'Aquileia (Ad Tertium). Je suis le tracé de la SR 252 par Sevegliano et je propose 27 milles entre Codroipo et Aquilée. Le détail n'a pas son importance, puisque la route décrite par Pline venait d'Oderzo par Concordia, un trajet qui fait 19 milles de moins, et qui porte à 354 milles le chemin effectué depuis Turin en entrant à Aquilée.

Après Codroipo, la Via Alpium Tauriscum poursuivait vers le nord-est, soit par Fagagna et le sud de Majano, vers Artegna, soit par Colloredo et Vendoglio, vers Bueriis, vu qu'on a trouvé cinq bornes milliaires avec des distances s'échelonnant de 33 à 41 milles dans ces villages, à moins que tous ces cippes viennent de Tricesimo (Ad Tricensimum), et ralliait Carnia (*CARNI) par Gemona (*GIAMONA) et Venzone (*VINDO), autant de toponymes bien gaulois. Là, elle laissait la Via Isarcum gravir le Monte Croce Carnico, tandis qu'elle s'attaquait aux pentes redoutables du Magdalensberg, par la vallée de la Fella. Laissons-la à Carnia, de peur d'égarer le lecteur dans un raisonnement trop confus: on va vite l'y retrouver.

Itinéraire.

Oderzo - Opitergium

Rifugio Alpino, Revine - Ad Cerasias XXVIII

Feltre - Feltria XXVIII

Valsugana - Ausugum XXX

Trento - Tridentum XXIIII

 

VIA ALPIUM TAURISCUM.

Belluno - Bellunum

Revine, Rifugio Alpino - Ad Cerasias XV

Oderzo - Opitergium XXVIII

Annone Veneto - Ad Nonas XI

Concordia Sagittaria - Concordia VIIII

Sesto Al Reghena - Ad Sextum VI

Codroipo - Ad Quadrivium XIX

Carnia - Carnia XXXVIII

 

Bornes.

Moggio Udinese / Glemona

113

Zuglio

 

I. La Via Alpium Tauriscum (d'Aquileia).

 

Une des voies les plus controversées d'Italie est celle qui mène d'Aquilée à Virunum. Virunum est mentionnée par Pline et Ptolémée comme une des cités du Norique, mais elle a été transférée de Magdalensberg à Sankt Michael am Zollfeld, près de Klagenfurt, sous le principat de Claude, devenant Claudium Virunum. Il pourrait même y avoir deux voies distinctes entre Aquilée et Virunum, puisque la Table propose des mansiones sans rapport avec celles de l'Itinéraire. Pour tout compliquer, les codices de l'Itinéraire se contredisent sur la nomenclature (Beloio, Beleio ou Bellono) et sur les distances, comme je le rapporte dans le tableau suivant, et, cerises (Ad Cerasias...) sur le gâteau, donne au trajet total entre Aquileia et Lauriacum (Lorch) 272 milles, alors que l'addition des étapes en propose 302.

Itinéraire d'Antonin

Table de Peutinger

Aquilée - Aquileia

Aquilée - Aquileia

Viam Beloio/Beleio/Bellono XXX

Ad Silanos XXV

Larice XXIIII

[ignota]

Santico XXIIII/XXVII

[ignota]

Viruno XXX

[ignota]

Candalicas XX

Tasinemeti

Monate XXX

Saloca VIIII

Sabatinca XVIII/XXVIII/XXIII

Virunum XI

Gabromago XXX

 

Tutatione XX

 

Ovilavis XX

 

Lauriaco XXVI

 



Comme le note Mirta Faleschini dans un article très récent, les distances indiquées vers la Carniole supposent que les deux premières mansiones au moins se trouvaient en Italie16. La Table situe la route à l'Est du Tagliamento (Tiliabinte flumen) et au Nord de Fluvius Frigidus, l'Hubelj et Ajdovscina. La distance actuelle est de 175 km a minima, alors que le trajet de l'Itinéraire en suppose environ 160. On a pu mesurer, ici ou là, les mérites de l'ingénierie romaine, et on peut imaginer les difficultés des agrimensores sur un tel parcours, mais cela incite à supposer une étape intermédiaire, ce qui compliquerait un comput déjà excessif, ou un trajet direct, sans détour. Nous avons déjà emprunté les trois principales routes qui menaient aux Alpes frioulanes, 1° par Gradisca d'Isonzo (Ad Undecimum) et Mainizza (Pons Sonti), 2° par Udine vers Cividale del Friuli (Forum Iulii), 3° par Udine et Tricesimo (Ad Trincesimum) vers Zuglio (Iulium Carnicum). La route par le Tagliamento et le Monte Croce Carnico devant être éliminée, parce qu'elle est bien trop longue, c'est la vallée de la Fella qui retient bien sûr toute l'attention des historiens.

L'appartenance du Magdalensberg au cursus publicus ne repose que sur un maigre indice, le milliaire du monastère de Moggio Udinese (AE 2006, 965), avec sa distance en milles, LXIX, une distance qui écarte a priori l'idée du réemploi d'un cippe de Carnia, puisqu'Aquilée et Concordia sont moins éloignées. Hormis les données archéologiques (mais quel col alpin n'a pas été employé depuis les haches de jade, les routes de l'ambre ou de l'obsidienne ? songeons à Ötzi, tué dans le val de Senales il y a 5300 ans...), le fameux parcours vers Sankt Michael am Zollfeld (Virunum) paraît correspondre à la vallée de la Fella, malgré deux difficultés essentielles: l'absence de Tricesimo (Ad Tricesimum) et celle de Tarvisio (Tarvesium). Mais ce sont là deux mansiones, elles ont ainsi moins d'importance que Cividale del Friuli (Forum Iulii), caput civitatis, qui n'aurait pas manqué de figurer sur l'Itinéraire17.

Opter pour la vallée de la Fella revient à identifier la mansio Ad Viam Beloio avec Tricesimo (Ad Tricesimum). Nommée Viam Bellono dans le Codex de l'Escurial, elle pourrait désigner la "route qui vient des Belluni", mais c'est douteux, ou plus simplement, la "route de la Fella", la *BELLA gauloise devenant *FELLA, avec un suffixe adjectival d'hydronyme, comme les Briniates se latinisent en Friniates ou le village de Bellonica, près de Mantoue, en Felonica. De Tricesimo, la route menait à Carnia (*CARNI) par Gemona (*GIAMONA) et Venzone (*VINDO)18. A Gemona, une fontaine de la località Godo est connue sous le nom de Silans, et d'aucuns l'ont identifiée à Ad Silanos, ce que j'accepte faute de mieux19. La mansio suivante, Larice, est située à 24 milles en amont, si l'on suit l'Itinéraire, donc à 6 milles environ de Carnia. On arrive alors au petit village de Resiutta, sur la Fella, où il y a, dans l'église paroissiale, un épigraphe mentionnant une station de douane (portorium), la statio Plorucensis(AE 2006, 123). Nous avons vu que toutes les routes alpines franchissaient des douanes doublées de cluses. Les Alpes frioulanes ne font pas exception, et Sankt Michael am Zollfeld (Virunum) en porte encore le nom. Sur la voie de l'Arsa, nous croiserons encore la statio Timavensis (AE 2006, 123), et sur cette Via Alpium Tauriscum, en amont, nous parviendrons à Camporosso in Valcanale, où a été retrouvée une inscription mentionnant la statio Bilachiniensis (AE 2015, 147).

De l'autre côté de la rivière, le milliaire du monastère de Moggio Udinese a été transporté depuis la vallée. Il indique, sans autre détail, LXIX milles: il y en a 54 entre Aquilée et Resiutta (Ad Laricem), et 69 exactement depuis Concordia. Resiutta (Ad Laricem), réputée pour son trafic de mélèze d'Europe (Larix decidua) doit être située à proximité du Castellum Larignum d'où César, quand il était à Aquilée, faisait venir des planches pour sa flotte, comme le rapporte Vitruve. Le nom de Ploruca fait assonnance avec Ad Laricem, il peut y avoir eu remotivation toponymique avec dissimulation du "p" initial, dans un contexte gaulois. Quoi qu'il en soit, l'identification de Resiutta à Ad Laricem et Ploruca ne fait aucun doute: à 5 milles en amont, Chiusaforte (Ad Castellum Clusae) constitue à l'évidence une des cluses du Tractus Italiae circa Alpes, comme les Cuses de Garavan, et toujours sur les gorges de la Fella, la località Porto, à Dogna, désigne, comme l'a démontré Mirta Faleschini, le port du mélèze.

Si le raisonnement paraît solide, les 54 ou 57 milles qui séparent Resiutta (Ad Laricem) de Sankt Michael am Zollfeld (Virunum) sont bien insuffisants. L'identification de Silans, Gemona à la mansio Ad Silanos, fragile, permet de considérer que trois étapes au moins, Santicum, Tasinemeti et Saloca, séparaient les cluses d'Ad Laricem de la cité du Norique. Après 27 milles, la Via Alpium Tauriscum parvenait à Tarvisio (Tarvesium/Santicum), finis Italiae. La Via Alpium Tauriscum basculait alors vers Villach (Bellacum). Toutes les stationes alpines étant aussi des mansiones du cursus publicus, il faut évidemment y voir l'étape manquante du trajet entre Aquilée et Sankt Michael am Zollfeld. Bilachinia est une transcription par un lapicide hellénophone de Bellacinia, issue normale d'un prédial Bellacum, le nom antique de Villach, qu'on comparera volontiers aux Belaci de l'Arc de Suse, "ceux de la Bella", l'adjectif *BELLOS, -A signifiant "puissant" en gaulois, et par métonymie, un nom classique pour un torrent.

VIA ALPIUM TAURISCUM.

Aquilée - Aquileia

Terzo d'Aquileia - Ad Tertium III

Tricesimo - Ad Tricensimum/Ad Viam Belleia XXVII

Silans, Gemona - Ad Silanos X

Carnia - Carnia VIII

Ad Laricem/Ploruca - Resiutta VI

Ad Castellum Clusae - Chiusaforte V

Tarvesium/Santicum - Tarvisio XXII

Bellacum - Villach XX

 



 

1Pline: Nunc ambitum eius urbesque enumerabimus, qua in re praefari necessarium est auctorem nos Divum Augustum secuturos discriptionemque ab eo factam Italiae totius in regiones XI.

2Comme le fera Ptolémée. Pline: sed ordine eo, qui litorum tractu fiet.

3Pline: urbium quidem vicinitates oratione utique praepropera servari non posse.

4Pline: itaque interiore parte digestionem in litteras eiusdem nos secuturos.

5Pline: coloniarum mentione signata, quas ille in eo prodidit numero.

6Pline: nec situs originesque persequi facile est, Ingaunis Liguribus ut ceteri omittantur agro tricies dato.

7Jehan Desange, https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_2004_num_148_3_22776, "Pline l'Ancien et l'Istrie, anomalies et hypothèses".

8Pline: quadringentorum decem milium inter duo maria Inferum et Superum amnesque Varum atque Arsiam.

9Pline: universae autem ambitus a Varo ad Arsiam |XX|·XLVIIII p. efficit.

10Pline: nunc finis Italiae — fluvius Arsia. ad Polam ab Ancona traiectus CXX p. est.

11Pline: latitudo Italiae subter radices earum a Varo per Vada Sabatia, Taurinos, Comum, Brixiam, Veronam, Vicetiam, Opitergium, Aquileiam, Tergeste, Polam, Arsiam DCCXLVp. colligit.

12Pour le détail, voir Giovanna Cera, La Via Postumia di Genova a Cremona.

13Il y a 42 km à pied. Le village de Sexten (Ad Sextam [Horam]) ne doit sans doute pas son nom à une voie romaine, même s'il mène au pays des Caturiges, le Cadore. Ni la distance, ni le relief, ni le réseau viaire ne sont satisfaisants pour l'intégrer dans cette étude.

14Sur les routes romaines du Trentin, voir notamment Giorgio Arnosti, http://www.academia.edu/18804114/ "Per Cenetam gradiens, Appunti sulle vie della romanizzazione, con riferimento all'antico Cenedese", ou la maîtrise de Mirta Faleschini, "Problemi relativi alla viabilità e alle modalità insediative nel territorio del Friuli nord-orientale (zona del canal del ferro/val canale) tra età romana e alto medioevo".

15En passant par Sesto Al Reghena, Morsano et Madrisio, il y a bien 25 milles, alors que par Azzano Decimo, il n'y en a que 26, mais on ne sait pas grand'chose du cours du Tagliamento et d'éventuels marais à cette époque.

16Mirta Faleschini, "Il Larice. Trasporto e commercio del legname dalle Alpi al Tirreno in epoca romana: un esempio di sistema integrato".

17Par Podbrdo, le trajet Aquileia-Virunum fait 185 km, et par Kobarid, 178.

18Il y a 27,4 km à pied entre Tricesimo et Carnia, soit un peu plus de 18 milles.

19Le microtoponyme est quand même bien isolé. Il faudrait corriger les XXXV milles par la Table, et y situer l'embranchement avec la route de Concordia.

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Commentaires
D
Hello <br /> <br /> I need to
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B
très captivant ...😍💋
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Histoire du Mentonnais antique et médiéval
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